8 janvier 2025

La veuve Claude

[La grand-mère maternelle du petit Patrick Nothomb veut un portrait où il pose avec sa mère Claude Lancksweert. Elle s'adresse au peintre bruxellois Edmond Verstraeten qui le réalise.] 
"Par la suite, je me suis souvent demandé pourquoi ma mère déclarait ne pas aimer un tableau que je l'avais vue aimer au premier regard. Bien sûr, on pouvait interpréter cette attitude de façon banale : Claude n'aurait pas pris le risque d'apprécier une œuvre qui n'avait pas été cautionnée par un connaisseur, en pareille circonstance, on passe moins pour une simplette en n'aimant pas qu'en aimant. Mais je soupçonne un motif plus profond : ce qu'elle avait vu sur le portrait, c'était une femme consentante. Et en effet, le temps de la pose, un charme opéra entre elle et le peintre. De s'être pour ainsi dire surprise en flagrant délit de séduction sur la personne d'un homme qui n'était pas feu son mari, Claude avait eu honte. Détester le Verstraeten équivalait à nier cet écart qu'elle jugeait indigne vis-à-vis de son mari."
Amélie Nothomb - extrait de "Premier sang" (2021)


Je n'ai trouvé sur Internet nulle trace, sinon perdue dans des généalogies, de Claude Lancksweert, la grand-mère d'Amélie Nothomb. Aucune photo. La couverture du Classiques & Contemporains des éditions Magnard montre-t-elle le tableau de Verstraeten ? Les descriptions du roman correspondent : robe somptueuse, décolletée avec dentelles faussement modestes, costume de velours noir et col de dentelle blanche, le garçonnet pris pour une demoiselle, etc.

 

7 janvier 2025

Papa, raconte

Albin Michel, 2021
175 pages

Un ami me confia, avec le clin d'œil qui entend une plaisanterie : l'épigraphe de ce roman est "Mon père est un grand enfant que j'ai eu quand j'étais tout petit" (Sacha Guitry).

Je trouvai cela drôle, fin et littéraire. Il n'en fallut pas plus pour que j'entre dans ce trentième opus d'Amélie Nothomb, moi qui la boudais depuis plus de vingt ans, pensant n'avoir lu que "Hygiène de l'assassin" (1992), alors que je compte sept titres à mon actif, dont plus de la moitié sont cochés d'une note positive.

Le père d'Amélie est décédé à 84 ans, en 2020, elle ne put assister à ses funérailles (Covid) et ce roman biographique s'écrivit dans la foulée. Loin de tout dolorisme, rédigé à la première personne – c'est presque du culot – ce père se raconte, depuis la petite enfance à sa libération en 1964, lors de la prise d'otage par les révolutionnaires Simbas à Stanleyville (Opération Dragon rouge). Il y fut otage et négociateur en vertu de son statut de diplomate. 

Alors que le peloton d'exécution, la mort imminente pointent Patrick, vingt-huit ans, soudain pris dans le rétrécissement infini de son existence, il raconte les moments importants de son enfance, de sa vie d'homme, donnant un récit qu'on voit s'épanouir comme un conte. 

Le roman a l'élégance de la simplicité, écrit dans un style direct, pur, sans détours. 

Alors que je m'emberlificote pour le résumer, comment donc s'écrit un récit aussi limpide et de haute tenue littéraire ? Tenez, l'entrée par le train de l'enfant dans la vraie Ardenne : "Assis à côté de la fenêtre, je voyais défiler un paysage de plus en plus sauvage. Dès Jemelle, ce fut la grande forêt des Ardennes, dont la splendeur m'interdit." J'ai éprouvé cela un jour dans les mêmes circonstances : rien ne dépasse ce silence après le passé simple.

Le grand-père Pierre Nothomb vit dans le château du Pont d'Oye ; il eût treize enfants. Un de ses fils, le père de Patrick, fut tué dans un accident de déminage avant la guerre et laissa Claude, une veuve remarquablement stoïque dont Amélie Nothomb dessine l'ombre admirable [extrait à venir]. Le château en question fut le lieu d'enfance adéquat où s'endurcir, avec des êtres sauvages petits et grands, à savoir oncles et tantes du jeune Patrick. L'atmosphère me rappelle le château du Grand Meaulnes tant tout semble s'y passer dans un songe. Il en est ainsi de la grande part du récit, dont la rencontre très romanesque avec Danièle, future maman de l'auteure.

Il ne s'agit en rien d'un texte larmoyant, mais d'un roman sensible et drôle qui m'a ébloui. Le tour de force est de l'avoir écrit malgré le deuil, comme si ne venait à l'écrivaine que ce qui ne devait pas chagriner. Par "Premier sang", papa se rêve, papa revit.


Article dans le "Le Carnet et les Instants" suivis d'un entretien (équipe Albin Michel) avec l'autrice, un verre de champagne à la main, bien entendu.

4 janvier 2025

Histoires de glaces


Je ne vais pas vous bassiner toute l'année avec le naufrage du Titanic. Mais puisque ce sujet continue à alimenter ma fascination et ma curiosité, je vais aller autant que possible au fond des choses.

Je l'ai lu en diagonale "Les secrets du Titanic" (2011), que l'on doit au britannique Rupert Matthews, et j'ai repéré deux ou trois paragraphes [pp 78 à 80] marqués au crayon par un lecteur irrespectueux, mais clairvoyant, qui m'ont permis de pointer quelques informations sur les glaces qui se forment sur les océans.

Les marins distinguent quatre types de glace :

  • Les growlers (le nom vient du bruit qu'ils font) sont de petites pièces qui émergent de 30 à 60 cm et mesurent rarement plus de quelques mètres.
  • Les champs de glace sont une masse composée de growlers et de morceaux pouvant atteindre plusieurs dizaines de mètres.
  • Les icebergs sont d'énormes blocs dont 90% sont immergés ; ils sont transparents, avec une légère teinte bleue ou verdâtre, mais la glace, éraflée en surface par les vagues, le vent et les embruns font que leur surface marbrée et raboteuse réfracte le soleil de façon à leur donner une teinte blanche.
  • Il existe un type d'iceberg très rare dit noir. Il provient d'un iceberg qui vient de se fragmenter, révélant une surface lisse et transparente qui n'a pas encore eu le temps de s'érafler et devenir blanche. La nuit, sa surface gelée paraît noire, ce qui le rend quasiment invisible, à moins que des vagues ne clapotent à sa base, ce qui n'est pas le cas lorsque la mer est d'huile, à l'instar de la nuit du Titanic.

Quelques lignes plus bas : "Pourtant la glace n'était pas considérée comme un danger majeur pour la navigation. Elle n'avait jamais causé le naufrage fatal d'un gros vaisseau [...]." Il y eut bien des doutes pour le SS Islander en 1901 qui toucha un rocher ou un iceberg et le SS Canadian en 1861 qui heurta quelque chose dans le brouillard. Ils sombrèrent tout deux. [SS veut dire Steam Ship = bateau à vapeur]

En général, les avaries causées par les collisions avec des glaces avaient permis aux capitaines de les gérer au mieux. Les voies d'eau étaient parées par les cloisons étanches prévues par les architectes navals. Les retards pris pour réparer étaient davantage le souci que la perte de bateaux, corps et biens. Bref, "les capitaines opérant dans les zones à icebergs considéraient ce facteur comme un risque de plus en mer, qui, bien géré, ne présentait pas de danger particulier".

Mais il faut savoir que les plus grands bateaux à vapeur de ce temps étaient d'un gabarit de 10 à 17.000 tonneaux et filaient tout au plus 18 nœuds [1 nœud = 1.852 km/h = 1 mille/h]. Le Titanic était un monstre de 45.000 tonneaux allant à 22.5 nœuds lors du choc, de sorte que la collision avec l'iceberg fut d'un autre acabit. [p 89]

Rupert Matthews, 2011
Original Books, 250 pages
[traduit de l'anglais par Isabelle Chelley]


Pour la petite histoire wikipédia:

"L'iceberg soupçonné d'avoir coulé le RMS Titanic. Cet iceberg a été photographié par le chef steward du paquebot Prinz Adalbert le matin du 15 avril 1912, à quelques kilomètres au sud de l'endroit où le Titanic a coulé. Le steward n'avait pas encore entendu parler du naufrage du Titanic. Ce qui a retenu son attention, c'est la trace de peinture rouge qui apparaissait à la base de l'iceberg, suggérant qu'il était entré en collision avec un navire au cours des douze heures précédentes.
D'autres récits indiquent qu'il y avait plusieurs icebergs à proximité du lieu de la collision du Titanic."

26 décembre 2024

Pulitzer posthume

Traduit de l'anglais (États-Unis) par 
Jean-Pierre Carasso - 1981 -534 pages

Le destin de l'auteur John Kennedy Toole (1937-1969) a contribué à forger celui de son livre. Écrit dans les années soixante, "La conjuration des imbéciles" ne trouvant aucun éditeur, Toole, au désespoir, se donna la mort en 1969. La persévérance de sa mère fit que le roman aboutit chez l'écrivain Walker Percy : celui-ci, d'abord réticent, fut conquis par le personnage central, Ignatius Reilly, et conclut que c'était un très bon roman. Proposé à un éditeur qui le publia en 1980, il obtint un immense succès et le prix Pulitzer l'année suivante.

Ce roman burlesque s'inscrit dans la tradition sudiste des grands romans de peinture sociale. "Écrit dans la meilleure tradition picaresque, férocement humoristique, dans un argot que le traducteur a eu bien de la peine à rendre, usant d'une langue artificielle, graphique, qui ne facilite pas la lecture, car n'est pas Raymond Queneau qui veut" (je tire cette dernière phrase d'un podcast de George Peyrou sur France Culture). Ce livre de John Kennedy Toole est un tableau extraordinaire de La Nouvelle-Orléans, avec ses illusions, ses vices, ses règlements de compte, ses farces, tandis le grotesque et le sordide apparaissent sur un fond de bonhomie.


En exergue, la phrase de Jonathan Swift – "Quand un vrai génie apparaît en ce bas monde, on peut le reconnaître à ce signe que les imbéciles sont tous ligués contre lui " – annonce le portrait d'Ignatius Reilly, un Don Quichotte obèse, paranoïaque et en révolte contre le monde moderne tout entier.

Ce roman est comique, mais d'un burlesque triste, on songe à Buster Keaton ou Woody Allen. On y perçoit une méfiance, un rejet du Sud à l'encontre de la modernité du Nord.
Pour bien saisir le pathétique du livre, il faut se replonger à l'époque des années soixante où l'ensemble des États-Unis connaît un malaise sociétal. J. D. Salinger est apprécié, qui aspire à un bien-être zen, quasiment mystique ; dans le Sud, Flannery O'Connor, romancière catholique, raconte des histoires d'infirmes, de fous et d'idiots, car ce sont eux qui ont raison contre une société d'abondance qui s'enfonce dans le matérialisme. Ignatius est de ces contestataires transposé dans un roman bouffon. 
On aurait tort de lire "La conjuration des imbéciles" sans le situer dans ce contexte pathétique, pour n'y voir que les divagations d'un idéaliste bavard et asocial, qui accumule initiatives grotesques et catastrophiques, ainsi que les désagréments liés à un anneau pylorique capricieux, générateur de rots et flatulences.  

Certains lecteurs seront dérangés par les balourdises, mais aussi par par les tentatives de Jean-Pierre Carasso pour traduire l'argot de La Nouvelle-Orléans : « S'y d'vait m'demander d'l'épouser, sur-le-champ, j'y dirais oui, j'y dirais comme ça « d'accord Claude », sans avoir à réfléchir une seconde. Chte l'dis, Ignatius, j'le f'rai pasque j'ai bien l'droit d'avoir quelqu'un qui m'traite gentiment avant d'mourir » [p.493]. On rencontre aussi, parmi d'autres, le « bouligne » (bowling) ou « ticheurte » (tee-shirt). C'est déroutant mais, pour ma part, j'ai trouvé cela amusant et bien rendu.

Une clé subtile est révélée par une anecdote de la fin du livre. Elle est inspirée des réflexions de Jacques-Pierre Amette (voir le podcast de France Culture). Rex, le chien d'Ignatius, est enterré sous une croix celtique devant la petite maison de quartier qu'il partage avec sa mère. On apprend qu'adolescent, il a demandé à un prêtre de faire les funérailles de l'animal et a essuyé un refus. On peut y voir la source du traumatisme du garçon, car le refus de la grâce pour l'animal fait que, par renversement, c'est la société entière qui est hors grâce. Le roman est un procès, avec tout ce qu'il comporte de trivial, de grotesque et d'amusant, mais un procès terrifiant d'Ignatius contre une société qui ne consent pas au regard d'un chien. 
Vu sous cet angle, il peut paraître essentiel de s'attacher aux aventures d'Ignatius Reilly.


9 décembre 2024

Les enfants du Titanic

Hachette Livre, 2012 /
Librairie Générale Française, 2017
350 pages

Michel Navratil, couturier à Nice et son épouse Marcelle Caretto, connaissent des problèmes de couple. Il décide de s'enfuir avec leurs deux enfants afin de réussir aux États-Unis. Sous le pseudonyme de Hoffmann, grâce au passeport qu'il a emprunté à un ami, il embarque sur le Titanic avec les garçonnets : Edmond (Monmon, 2 ans) et Michel (Lolo, 4 ans). 

Le récit est élaboré par Élisabeth Navratil : née en 1943, elle est la fille de Lolo, rescapé du naufrage, qui se prénomme Michel comme son père. 

Je reste perplexe en lisant certaines notes de bas de pages témoignant du souci d'authenticité – la mort du capitaine Smith par exemple, il est précisé que plusieurs versions contradictoires rendent aléatoire la vérité historique –, en regard d'autres scènes, dont certaines assez larmoyantes, manifestement dues à l'imagination de l'autrice. Ajoutons-y des visions soi-disant télépathiques perçues par Marcelle éplorée qui ne savait où étaient Michel et ses enfants, phénomènes dont il est précisé, en bas de page : "Malgré leur invraisemblance, les faits rapportés ici sont exacts".

Les informations sur les causes du naufrage et son déroulement s'appuient sur des sources dont l'origine n'est pas toujours précisée. On apprend la nonchalance du commandant Smith qui glisse ostensiblement dans sa poche, sans les lire, des messages de bateaux aux alentours qui signalent des glaces. De même, on avait égaré les jumelles des vigies. 
Élisabeth Navratil obtint des témoignages limités de son père, car le gosse de quatre ans, épuisé, s'endormit dans la chaloupe de sauvetage, d'un sommeil qui gomma ses souvenirs récents.
 
Dans une postface, l'auteure, consciente de l'embarras du lecteur, tente de préciser le vrai de l'imaginaire. On y trouve la liste des événements révélés par Lolo, alias Michel. Elle y raconte aussi l'histoire du livre, dont une première version parut en 1980, où elle usait de pseudonymes à la demande de la famille. De cette semi-fiction initiale, naquirent des idées fausses sur la famille Navratil. La troisième version de 2017 est plus authentique, mais Élisabeth a néanmoins conservé plusieurs personnages fictifs et diverses informations erronées, telles la libre circulation des passagers entre les classes du navire. Ce qui nie la réalité clivante des inégalités sociales.

Dans "Les enfants du Titanic", à la vue de l'iceberg fatidique, l'ordre donné par l'officier de quart Murdoch au timonier aurait été "À gauche, puis à droite !". Intrigué par cet ordre contradictoire qui me semble fantaisiste, j'ai déniché un document du Web :
"À cette époque la marine britannique utilise encore à bord des navires civils et militaires les ordres de manœuvres employés sur les voiliers, et lorsque l'on veut aller à bâbord (gauche), il faut pousser la barre franche à tribord (droite) située à la poupe (arrière).
C'est pourquoi on indique non pas la direction à prendre, mais de quel côté il faut pousser la barre franche fixée au safran, ou plus tard tourner la barre à roue actionnant le gouvernail.
Pour éviter des accidents malheureux qui ne manquèrent pas d'arriver, ce système controversé est enfin abandonné le 1er janvier 1933 ! Cette décision fit grand bruit à l'époque."

Difficile d'adhérer à ce qui précède, car je lis sur France Info (confirmé par Wikipédia:

"... pour les spécialistes de la marine, ce scénario est totalement farfelu. Pour commencer, les barres à roue ont fonctionné sur le même principe dès leur invention : le navire tourne dans le sens où le timonier tourne la roue. Et aucun changement technologique n'a eu lieu au début du XXème siècle." 

En réalité, et pour revenir à ce que concluait Paul-Henri Nargeolet (voir "Dans les profondeurs du Titanic"), l'erreur que commit l'officier Murdoch fut de freiner le paquebot au lieu de maintenir sa vitesse pour virer plus court (l'hélice centrale agissant alors mieux sur le safran braqué). L'autre option étant de ralentir en prenant l'iceberg de face. À l'allure du Titanic à ce moment (22,5 nœuds-41 km/h), le pauvre n'eut que 37 secondes pour réagir.
John Parrot/Stocktrek Images

Un livre un peu élitiste, avec un défilé de richissimes personnalités, des ambiances qui me paraissent toutefois bien rendues, notamment dans les canots où l'on meurt de froid, les rescapés ont les pieds dans l'eau glacée qu'il faut écoper. 
Mais trop d'imprécisions techniques, raison pour étoffer ce compte rendu par les paragraphes pragmatiques qui précèdent.

Michel (Lolo) et Edmond (Monmon) Navratil

Un montage radiophonique de France Inter fait revivre l'histoire des deux enfants et de leur père dans la série "Autant en emporte l'histoire".

24 novembre 2024

L'épave convoitée

de Paul-Henri Nargeolet -
Harper Collins France, 2022

On sait par les témoins du naufrage que le Titanic, le 15 avril 2012 à 2 h 20, s'est brisé en deux avant de sombrer à une vitesse de 40 à 50 km/h : la proue s'est enfoncée comme une flèche dans les sédiments par 3.800 mètres de fond alors que l'arrière du bateau a coulé en pivotant, hélices en haut. Les deux tronçons du navire se sont vidés de leur contenu, répandus sur près de 2 km carrés. L'impact fut si dur que des chaudières de plus de 60 tonnes ont été aperçues à plusieurs dizaines de mètres de la coque.

Paul-Henri Nargeolet est «le» spécialiste de l'exploration de l'épave qu'il a visitée trente-deux fois, de 1987 à 2021, ce qui permit de remonter plus de 5000 objets : du plat à œufs à la chocolatière en argent massif jusqu'à la big piece, fragment de la coque avec hublots, renforts et rivets, pesant 20 tonnes. Cette dernière a nécessité quatre ans d'étude et plusieurs tentatives pour la hisser en surface. Ses dimensions donnent une idée de la taille du Titanic et valorisent les expositions d'autres objets récupérés.

Le livre regorge de solutions techniques adoptées pour atteindre l'épave et agripper des objets, mais cible aussi de nombreuses légendes et fausses informations sur le naufrage du transatlantique.
D'abord l'hypothèse d'une longue déchirure de près de 100 m au contact de l'iceberg : si c'était le cas, le paquebot aurait coulé en dix minutes, explique notre spécialiste. L'exploration de l'épave a montré qu'il n'y avait que cinq petits trous totalisant à peine un mètre carré, au total une porte de placard. Ces cinq petites brèches en pointillés sur 60 mètres, portant sur six compartiments, furent suffisantes pour laisser s'engouffrer 400 tonnes d'eau à la minute alors que les trois pompes de cale ne pouvaient, ensemble, évacuer que 400 à 450 tonnes à l'heure, soit près de soixante fois moins. 
Autre fait critique, l'accusation visant le premier officier Murdoch qui, en vue de l'iceberg, a commandé de virer et freiner le bateau : en réalité un tel bateau vire d'autant plus court que son allure est élevée. Nargeolet va plus loin, freiner le bateau et le laisser heurter de front le bloc de glace aurait peut-être écrasé la proue sans provoquer de voies d'eau fatales (voir l'attitude du capitaine du paquebot Royal Edward en 1914).

De nombreuses questions que l'on se posait sur cette tragédie marine trouvent une réponse sensée et experte dans cet ouvrage captivant.
Descendre dans un submersible comme le Nautile à 4000 mètres sous une eau à 0°, pendant des périodes de douze heures parfois (il faut du temps pour atteindre l'épave, le Nautile avance à 3 km/h) suscitent quelques questions. Il faut savoir que l'eau, à ces profondeurs, engendre une telle pression sur les parois de l'appareil que son volume intérieur diminue de plusieurs dizaines de litres. Le froid à l'intérieur de l'engin est vaincu par des vêtements adéquats et un peu atténué par la chaleur des appareils qui l'équipent. L'on respire de l'air normal à la pression atmosphérique normale, recyclé par élimination du gaz carbonique grâce à de la chaux sodée ou du lithium. Puis, pendant dix ou douze heures, difficile de ne pas se soulager : débrouilles avec des bouteilles diverses et des couches pour les équipières. Nargeolet mentionne que les Japonais utilisent, comme les pilotes de chasse, un système de granulés pour éliminer l'urine. Être passager du Nautile est accessible à toute personne en bonne santé, à condition de résister au stress lié à la claustration et à la durée de l'expédition.

Mon billet ne dit guère sur la convoitise que suscitent les restes du Titanic. Le livre vous comblera sur ce point avec notamment la concurrence implacable du géologue américain Robert Ballard.

Avec consternation, j'ai appris (hors livre) la mort de l'auteur en juin 2023 : il effectuait une descente vers le Titanic avec le submersible « touristique » Titan (5 places) qui a implosé après 1 h 45 de descente.

Merci, monsieur Nargeolet, de nous avoir fait vibrer avec ce livre qu'illustrent quelques photos pertinentes et émouvantes (dans la version non poche que j'ai empruntée).

14 novembre 2024

Ivette, féministe médiévale

Le Livre de Poche, 2009 (178 pages)

Ivette (1158-1228), dite aussi Juette, vivait à Huy, petite ville belge sur la Meuse, à une trentaine de kilomètres en amont de Liège. L'abbaye de Floreffe, où elle repose aujourd'hui, se situe à 40 kilomètres de Huy, sur la Sambre qui conflue avec la Meuse à Namur.

Me plonger dans l'histoire médiévale sur les traces d'une sainte laïque n'est pas dans mes habitudes de lecture, mais les débats historiques intenses qu'elle suscite m'ont poussé à approcher cette insoumise, outre le fait que le roman reçut maints éloges. Après quelques pages, j'ai été saisi par la plume sobre et poétique de Clara Dupont-Monod : Le Temps évoque "un style gracieux, elliptique et sensuel à la fois" ; La Libre écrit "tout d'ardeur d'âme, ce livre est œuvre de poète"

L'autrice présente le récit en alternant les monologues de Juette et de son confident, le jeune chanoine Hugues de Floreffe, captivé par cette personnalité animale, secrète, rêveuse : "Juette l'ignore, mais elle me montre l'essentiel de la religion : cette part d'enfance qu'il faut porter en soi pour se montrer confiant et s'en remettre à une puissance supérieure".

Juette rêve de légendes, de chevaliers qui sont pour elle des apôtres, de scènes de bataille, de toutes choses qu'elle nomme "ses histoires", qui semblent remonter de la Meuse vers sa demeure, à côté de l'église Saint-Mengold. Elle aime s'asseoir sous un arbre, pieds nus, les yeux rivés aux diamants scintillants du soleil sur le fleuve. Élevée dans une discipline qui vise à faire d'elle une bonne épouse, presque recluse déjà, elle est rétive aux matinées de couture, à sa mère austère qui l'examine, palpe ses membres maigrichons et la lave à seaux d'eau. 
À 13 ans, elle est mariée à un homme qu'elle ne connaît pas, qui la dégoûte, pour lequel elle doit ouvrir les jambes à la concupiscence puis au passage d'un enfant sans vie. Elle souhaite la mort de son mari dont elle eut finalement deux enfants. Un matin, elle le trouve froid et raide à ses côtés.

Elle refuse un second époux et est emmenée par son père devant le Prince-Évêque de Liège qui accepte néanmoins de la laisser vivre librement, selon son choix.

Elle se consacre, suivant les conseils de son père, à l'éducation de ses fils, mais avant tout aux soins des lépreux et au bien-être spirituel de sa communauté de femmes. Elle possède un don de conseil et d’écoute exceptionnel. Pour elle, la foi compte plus que la religion. La haine des hommes "qui ouvrent le corps des femmes" et du clergé opulent et corrompu, son combat mental avec le démon l'amènent à vivre en ermite, recluse dans une léproserie en bord de Meuse. 
"Je sais qu'en ville les détracteurs sont aussi nombreux que ses admirateurs. J'ai déjà entendu des groupes railler ses « extases ». Ce qu'ils ne savent pas, c'est que Juette n'a plus peur. Et après ? La folie est une paix comme une autre." [propos de Hugues]

L'histoire d'Ivette de Huy s'inscrit dans la lutte de l'Église romane catholique, aux 12e et 13e siècle, contre les hérésies, le mouvement vaudois, le catharisme et les communautés dissidentes comme celle que l'insoumise rassembla autour d'elle, avec ses visions et ses transes. Elle échappa toutefois aux persécutions du clergé.

Le récit de sa vie, parvenu intact jusqu'à nous, a été écrit par le religieux Hugues de Floreffe, le confident et ami.

Roman d'une grande richesse qui en dit beaucoup sur les mœurs de l'époque et qui offre, dans un écrin poétique et féministe, un vif portrait de femme.

Au plan purement historique, on peut se référer à "Dames du XIIe siècle" de Georges Duby. L'évêque de Liège actuel, Jean-Pierre Delville, a consacré une conférence aux saintes hutoises en 2023.

En couverture : Élisabeth de Hongrie par Marianne Stokes (1895)

25 octobre 2024

Des livres pour tous

L'article de la RTBF commenté ici est du type "fil info" et n'est donc pas approfondi, mais il invite à se poser des questions sur le sujet.
Le titre de l'article tombe comme un couperet "Sans les livres d’occasion, de plus en plus de Belges ne pourraient plus s’en acheter" (RTBF Actus). Un peu surpris, je me dis en même temps que j'achète régulièrement des livres d'occasion.

Cette information expose les chiffres en France où, selon une étude commandée par le ministère de la Culture, la part de marché du livre d’occasion progresse chaque année et représente aujourd’hui 20% des livres achetés. Il semble que la tendance soit similaire en Belgique où le prix des livres neufs a progressé de 5,1% [source ?].

Les marchés du livre d'occasion doivent refuser des exposants, des privés notamment ; fini le temps où il fallait visiter des antiquaires et vendeurs professionnels pour trouver un livre de seconde main. Une étudiante, amoureuse des livres, confie : "L’offre est tellement importante aujourd’hui en occasion que je trouve toujours ce que je cherche."

Les maisons d'édition ne touchent rien sur un livre revendu. Pour freiner la revente, elles pensent à une taxe sur les livres d'occasion (3%), qui reviendrait aux auteurs et autrices : "Cette taxe ne viserait que les grands groupes industriels comme Amazon, eBay, Vinted, […] ces grands acteurs internationaux ne paient pas d’impôts en France." Les autres plateformes en ligne ne sont pas visées jusqu'ici : Momox, Recyclivres, ... L'inconvénient de ces dernières est que l'évaluation de l'état du livre est approximative : un ouvrage vendu comme "à offrir" ne devrait pas comporter de marques ni de pliures. De plus, les frais de port ne sont pas négligeables, il est préférable de commander pour un montant qui implique la livraison gratuite.

L'article ne fait pas mention des bibliothèques qui répondent à de nombreuses demandes. Dans les grandes villes, rares sont les livres – sauf les nouveautés – qu'on n'y trouve pas, éventuellement via un réseau ou sortis d'une réserve. 

Pour conclure, retour en Belgique : "Selon les derniers chiffres du secteur, pour l’année 2023, le marché du livre en Fédération Wallonie-Bruxelles s’élève à 264 millions d’euros [source ?]. Et le nombre de ventes de livres neufs a diminué l’an dernier."

Les détails de la situation du livre neuf en Belgique francophone en 2023 sont proposés dans "Le Carnet et les Instants".

Lisez-vous d'occasion ?

15 octobre 2024

Cogitations de promeneur

Jean-Marc Defays
Murmure des Soirs, 2024 
173 pages

Sachant que l'auteur est liégeois, on ne doute pas que ses balades, fertiles en méditations et rêveries, se déroulent autour des Coteaux de la Citadelle, dont on vient en ce début d'octobre de célébrer les nocturnes. Des bougies ont illuminé les 374 marches de l'escalier vers la butte. 
Du fait que le nom de Liège n'est énoncé nulle part, les considérations du promeneur acquièrent un caractère général. Encore que certaines évocations relèvent du régional, tel cet hôpital jouxtant un enclos de fusillés, "une institution vouée à la vie, comme pour démontrer qu'elle a toujours l'avantage – même provisoire – sur la mort". [p.49]

Intellectuellement, le chapelet de réflexions proposé par Jean-Marc Defays est moins ardu, selon moi, que le franchissement physique des coteaux et l'on se laissera aller paisiblement aux mouvements de son esprit stimulé par la marche. Ils sont spécifiques, pour la plupart, de ce qui préoccupe – ou pourrait préoccuper – toute personne honnêtement sensée et cultivée : et si l'on y philosophe, ce n'est jamais pour sortir de sentiers balisés, ni pour forcer le pas, tandis que les galimatias sont exclus. 

Les deux font la paire : le promeneur Jean, dont les pensées sont exposées et le narrateur, à savoir son chien – capable de raisonner, que croyez-vous ! – qui l'accompagne dans ses flâneries. Le livre comprend environ 150 textes de moins d'une page, sans titres, répartis en six parties. Les illustrations sont de l'auteur, au fusain semble-t-il.

Soyons sincères, l'on ne va pas s'éberluer à toutes les pages de ce carnet de promeneur solitaire : outre l'indignation envers des sujets autour desquels on a coutume de ruminer et palabrer (guerres, politiciens, attente au téléphone, travaux dans la ville, etc.), il s'y trouve d'intéressantes réflexions que ne dédaigneraient pas des penseurs qui tiennent le haut des affiches culturelles et littéraires. J'ai apprécié le goût du promeneur pour la sincérité, la simplicité, l'honnêteté intellectuelle, qu'il allie à une perspicacité bien placée et la volonté de bien dire. Sur ce point, le propos est limpide : Jean-Marc Defays est linguiste.

Deux trois thèmes, parmi d'autres, à méditer. 
  • L'un porte sur l'agacement de certains devant les films ou l'on ne trouve pas de logique, successions d'images magnifiques, sans histoire consistante : "Jean s'est demandé si ce n'est pas parce que l'existence n'a pas d'histoire cohérente ni d'explication logique que la plupart des humains attendent précisément que l'art – au même tire que la science, la politique ou la religion – lui en donne. Sans histoire ni explication, la vie est insupportable et un film ou un livre qui en fait la démonstration, malgré des compensations esthétiques, ne l'est pas moins." [p.80]
  • Beaucoup de personnes du troisième âge, et des plus jeunes, approuveront cet incipit qui interroge les nouvelles valeurs : "Comme s'ils avaient été dessinés dans le sable, les points de repères – même ceux que l'on croyait indiscutables – s'effacent sous les vagues impétueuses et imprévisibles des médias, des réseaux sociaux, des dictats des modes et des idéologies. [...]" [p.170] 
  • Lors de controverses avec des gens qui n'acceptent jamais de remettre en cause leurs certitudes, l'homme éprouve de la colère en son for intérieur : "À chacune de ces occasions, il fait l'expérience intime du paradoxe de la tolérance qui doit accepter l'intolérance, quitte à se mettre en danger." [p.171]
  • Puis cette incise : "Suivre sa pente, disait le poète, pourvu que ce soit en la montant". [p.126] 

Je laisse à regret ce livre d'un abord aisé, qui m'était devenu aussi familier que son narrateur canin qui tient bien peu sa langue. Les paragraphes succincts donnent envie de cogiter sans façon avec l'avenant marcheur, dont on devine les compétences universitaires sous une casquette un peu pépère.

Merci à Babelio et les éditions Murmure des Soirs pour l'envoi du livre.

27 septembre 2024

Trancher le nœud

Le nœud de vipères - François Mauriac
(1932)
À chacune de mes lectures de François Mauriac, ressort l'un de mes importuns paradoxes qui consiste à apprécier ses romans, alors que je me complais généralement chez des écrivains, moralistes ou penseurs qui naviguent aux antipodes des idées platoniciennes et religieuses de l'académicien français. 
Dois-je m'alarmer ? Je me targue seulement de partager ce que je lis, sans chercher à m'approprier ou promouvoir – à quel titre d'ailleurs ? – telle éthique ou philosophie, serait-ce au sein d'un blog qui met résolument en avant certaines d'entre elles parmi les plus immanentes. Et dans ce blog qui vit et respire au fil du temps et des pages, libre respiration qui s'accommode de la contradiction, quelle inconsistance y aurait-il à s'attacher un personnage de fiction qui ne veut plus du sacerdoce de l'avarice, de la haine familiale et du ressentiment pour se découvrir un cœur qui le porte à la foi chrétienne ?

Si les subjonctifs imparfaits ne vous irritent pas, ni l’austérité du ton, ce sont deux cent cinquante pages en Livre de Poche qui méritent le détour.

"À travers la vitre où une mouche se cogne, je regarde les coteaux engourdis. Le vent tire en gémissant des nuées pesantes dont l'ombre glisse sur la plaine. Ce silence de mort signifie l'attente universelle du premier grondement. « La vigne a peur ... » a dit Marie, un triste jour d'été d'il y a trente ans, pareil à celui-ci. J'ai rouvert ce cahier. C'est bien mon écriture. J'en examine de tout près les caractères, la trace de l'ongle de mon petit doigt sous les lignes. J'irai jusqu'au bout de ce récit. Je sais maintenant à qui je le destine, il fallait que cette confession fût faite ; mais je devrai en supprimer bien des pages dont la lecture serait au-dessus de leurs forces. Moi-même, je ne puis les relire d'un trait. À chaque instant, je m'interromps et cache ma figure dans mes mains. Voilà l'homme, voilà un homme entre les hommes, me voilà. Vous pouvez me vomir, je n'en existe pas moins.[p.167]

 

23 septembre 2024

La rencontre des enfants

" « Je ne sais même pas qui vous êtes », dit-elle enfin.

Elle prononçait chaque mot d’un ton uniforme, en appuyant de la même façon sur chacun, mais en disant plus doucement le dernier… Ensuite elle reprenait son visage immobile, sa bouche un peu mordue, et ses yeux bleus regardaient fixement au loin.

« Je ne sais pas non plus votre nom », répondit Meaulnes.

Ils suivaient maintenant un chemin découvert, et l’on voyait à quelque distance les invités se presser autour d’une maison isolée dans la pleine campagne.

« Voilà la “maison de Frantz”, dit la jeune fille il faut que je vous quitte… »

Elle hésita, le regarda un instant en souriant et dit :

« Mon nom ?… Je suis mademoiselle Yvonne de Galais… »

Et elle s’échappa.

La « maison de Frantz » était alors inhabitée. Mais Meaulnes la trouva envahie jusqu’aux greniers par la foule des invités. Il n’eut guère le loisir d’ailleurs d’examiner le lieu où il se trouvait : on déjeuna en hâte d’un repas froid emporté dans les bateaux, ce qui était fort peu de saison, mais les enfants en avaient décidé ainsi, sans doute et l’on repartit.

Meaulnes s’approcha de Mlle de Galais dès qu’il la vit sortir et, répondant à ce qu’elle avait dit tout à l’heure :

« Le nom que je vous donnais était plus beau, dit-il.

– Comment ? Quel était ce nom ? » fit-elle, toujours avec la même gravité.

Mais il eut peur d’avoir dit une sottise et ne répondit rien.

« Mon nom à moi est Augustin Meaulnes, continua-t-il, et je suis étudiant.

– Oh ! vous étudiez ? » dit-elle.

Et ils parlèrent un instant encore. Ils parlèrent lentement, avec bonheur – avec amitié. Puis l’attitude de la jeune fille changea. Moins hautaine et moins grave, maintenant, elle parut aussi plus inquiète. On eût dit qu’elle redoutait ce que Meaulnes allait dire et s’en effarouchait à l’avance. Elle était auprès de lui toute frémissante, comme une hirondelle un instant posée à terre et qui déjà tremble du désir de reprendre son vol.

« À quoi bon ? À quoi bon ? » répondait-elle doucement aux projets que faisait Meaulnes.

Mais lorsqu’enfin il osa lui demander la permission de revenir un jour vers ce beau domaine :

« Je vous attendrai », répondit-elle simplement.

Ils arrivaient en vue de l’embarcadère. Elle s’arrêta soudain et dit pensivement :

« Nous sommes deux enfants nous avons fait une folie. Il ne faut pas que nous montions cette fois dans le même bateau. Adieu, ne me suivez pas. » "

À contre-courant de la rentrée littéraire, des prix et tout ça, vous souvient-il de ce livre d'un temps désuet, romanesque, entre fantastique et réalisme ? Je ne l'avais jamais lu et il m'a complètement charmé. Plus envoûtante que prosaïquement romantique, l'histoire inscrit le merveilleux dans lé réel ; elle totalisait à la fin du XXe siècle plus de quatre millions d'exemplaires vendus en format de poche, non loin du "Petit Prince" ; l'ouvrage unique d'Alain-Fournier (1886-1914) est entré à "La PLéiade" en 2020.

Pour aller plus loin, l'étude "Le Grand Meaulnes, un conte bleu réaliste ?" y porte un regard approfondi et le voit comme :
    un roman de terroir 
    un roman autobiographique 
    un roman onirique 
    un roman d'aventures 
    un roman d'adolescence

J'ai eu recours une nouvelle fois à une enchanteresse version audio, discrètement illustrée musicalement ("litteratureaudio.com" - Donneuse de voix : Pomme - 8 heures d'écoute).


17 septembre 2024

Au cœur du cœur

Librio Poésie (2010)

Andrée Chedid (1920-2011) est une poétesse franco-syro-libanaise. Elle a également écrit des romans, des nouvelles, du théâtre et des essais. Ce qui touche en elle est son continuel questionnement sur la condition humaine.

Ces textes ont été choisis, parmi l'œuvre poétique de l'autrice, par Matthieu Chedid (le chanteur "M", petit-fils d'Andrée) et Jean-Pierre Siméon
Leur préface débute comme suit :
« Le dénué d'amour trace partout des cercles dont le centre n'est pas. » Andrée Chedid est toute dans cette formule. De quelque côté qu'on considère sa personne, sa vie, son œuvre, on trouve le même point d'équilibre, l'amour sous ses diverses formes : le lien familial, l'amitié, l'attention à l'autre et cet appétit de la vie qui, malgré l'évidence des malheurs, explique son optimisme têtu. Accueillir la vie, en transmettre la beauté et le désir sans ignorer jamais la part de douleur qu'elle porte, créer du lien donc, c'est le sens de la poésie selon Andrée. 


ERRER 

Elle va       elle va 
La remuante vie
Distançant nos fictions
Devançant tous nos rêves

Tandis que nous errons
D'ébauches en ébauches
Fabriquant sur l'écorce du monde
De frêles abris

Tandis que nous rôdons
Vers l'incernable issue
Mendiants d'éternité
Et de terres mal promises

Les peurs parfois nous déportent
Vers de douteux appuis
Nous enferment parfois
En de sombres bastilles
Sans fenêtres sur l'espace
Sans passage vers autrui.

(Andrée Chedid, 2000)


Prochainement un autre texte poétique de l'autrice.

1 septembre 2024

Bâillonnés

"Un livre fermé et placé sur une étagère
parle par sa reliure avec la même impuissance
désespérée que le prisonnier, les yeux écarquillés,
après qu'on l'a attaché et bâillonné."

Gaston Laforgue 

Cette épigraphe de la nouvelle "Poussières" [p.75] du recueil "Voyage d'hiverde Jaume Cabré est due à un illustre inconnu. Nous dirons donc que Gaston Laforgue est une création de Cabré qui "ne recule devant aucune forgerie" [La Croix]. Ainsi, la piquante métaphore nous contraindra-t-elle à des choix cruciaux lors de nos prochaines visites en bibliothèques ou librairies : quels désespérés libérerons-nous ?